21.11.2024 Conférence de presse

Il est extrêmement difficile de résumer les échanges très riches de cette conférence de presse vu la complexité de la situation actuelle au Moyen-Orient et particulièrement dans la bande de Gaza qui d’après Philippe Lazzarini est ″postapocalyptique″. Gaza est, selon le commissaire général, le pire endroit du monde pour un enfant : l’âge moyen des enfants tués est de 5 ans, c’est un monde où on a vu tous les possibles superlatifs en matière de souffrance humaine. Aujourd’hui, vous avez plus de 20’000 enfants qui sont orphelins, sans compter ceux qui ont été tués et tous ceux qui sont devenus handicapés. Les enfants qui ont survécu sont profondément traumatisés. Au-delà des bombardements brutaux et féroces, en moyenne, les gens se sont déplacés plus d’une dizaine de fois. La population est concentrée sur 10% du territoire. Il n’y a pas une journée sans une annonce de destruction d’abris et d’écoles.

Concernant la situation alimentaire, selon la FAO 96% de la population gazaouie connait un niveau élevé d’insécurité alimentaire et a lancé une alerte élevée de famine. Le commissaire-général a ajouté que ″Gaza n’a jamais connu la faim auparavant et connaissait même une autonomie alimentaire grâce à son agriculture, son cheptel et ses arbres fruitiers″

Quant à sa sécurité personnelle, Philippe Lazzarini a admis qu’il est constamment menacé et qu’il a déjà été agressé.

Pour le Prof. Nago Humbert, qui a connu le même sort que Philippe Lazzarini, il y a 30 ans, c’est-à-dire une interdiction de retourner à Gaza et en Cisjordanie alors qu’il travaillait pour l’OMS et avait développé un projet en santé mentale avec l’UNRWA pour les enfants, attaquer l’UNRWA est un vieux combat des gouvernement israéliens successifs. ″Lorsque je me rendais au ministère de la santé à Jérusalem, mes interlocuteurs me disaient souvent : ″Les Palestiniens ont déjà un Etat, c’est l’UNRWA″. Pour le gouvernement israélien, vous supprimez l’UNRWA et donc plus de réfugiés palestiniens et par conséquent vous supprimez la problématique du droit au retour.

Après avoir rappelé les chiffres des victimes civiles tuées par les bombardements, Nago Humbert a ajouté qu’il ne fallait pas oublier les victimes collatérales de cette guerre, les patient.e.s atteint.e.s de maladies chroniques (diabète, hypertension, cancer, insuffisance cardiaque ou rénale, sans compter la sous-alimentation) qui d’après plusieurs études, dont une publiée dans le Lancet, aurait fait à ce jour environ 200’000 morts.

Nago Humbert, en réponse aux affirmations de certains élu.e.s qui prétendent que pour compenser l’arrêt du financement à l’UNRWA, on peut financer les ONG suisses, a martelé: ″aucune organisation ne peut remplacer l’UNRWA″ et que ces affirmations sont non seulement des  mensonges, mais également une imposture politique grave. Leurs déclarations démontrent une méconnaissance inquiétante de la réalité du vécu de la population de la bande de Gaza et pour le Prof. Nago Humbert : ″En supprimant l’aide financière à l’UNRWA la majorité des élu.e.s du Conseil national se rend complice de la situation humaine désastreuse dans laquelle survivent les gazaouis et par conséquent coupables de non-assistance à personne en danger de mort″ et il ajoute : ″Et ils ou elles ne pourront pas dire qu’ils ou elles ne savaient pas″.

Pour le diplomate Jean-Daniel Ruch : ″ Le déclencheur de la crise humanitaire à Gaza, c’est l’échec de la diplomatie″. L’échec de la diplomatie bien avant la tragédie du 7 octobre 2023, mais aussi l’échec de la diplomatie après le 7 octobre 2023″. Ayant été engagé dans la recherche d’une solution à deux Etats de manière intense comme Représentant spécial de la Suisse au Moyen-Orient de 2008 à 2012, puis comme Ambassadeur de Suisse en Israël de 2016 à 2021, Jean-Daniel Ruch donne une explication sur cet échec. Pour lui, le tournant fut le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou en 2009, qui coïncida avec l’arrivée d’Obama à la présidence des Etats-Unis. Alors que les négociations israélo-palestiniennes avançaient bien auparavant, avec le trio Abbas-Olmert-Bush, inspirées d’ailleurs par l’initiative de Genève, elles connurent un brusque coup d’arrêt après les changements de pouvoir en Israël et aux Etats-Unis. Depuis lors, aucune négociation sérieuse n’a eu lieu.

Les accords d’Abraham offerts par Trump à Israël firent descendre la question palestinienne au bas de l’agenda international. L’offre formulée par le Hamas en 2017 dans son nouveau document de fond fut complètement ignorée. On crut que le conflit pouvait être géré en contenant le Hamas avec les millions du Qatar. Ce fut une illusion aux conséquences incommensurables. Après le 7 octobre, la diplomatie se révéla tout aussi futile. On ne peut pas dire que l’administration Biden ne déploya pas de multiples efforts pour assurer un cessez-le-feu et la libération des otages. Mais, chaque fois, ils butèrent sur le même problème : le Hamas n’était prêt à accepter de renoncer aux otages qu’en échange d’un retrait complet des forces israéliennes de Gaza. Israël n’était et n’est toujours pas prêt à cette concession. L’administration américaine, quant à elle, n’est pas disposée à exercer la pression qu’il faudrait sur Israël, par exemple en gelant les livraisons d’armements.

Comme le monde occidental s’est coupé du Hamas dès 2007, il n’y a personne pour exercer une vraie pression sur le mouvement palestinien. Donc, la guerre et les massacres continuent. La pente naturelle des choses mène soit au nettoyage ethnique – dans un sens ou dans l’autre – soit à la création de bantoustans où les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie seraient parqués tandis que les colonies se développeraient à côté et autour. ″ J’ai écrit cela avant le 7 octobre″. Aujourd’hui, ce jugement est plus pertinent que jamais. Une solution à deux Etats, telle que prônée par l’ensemble de la communauté internationale moins Israël et l’Iran, est techniquement encore faisable. Cependant, elle nécessiterait un investissement politique inimaginable aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe. Les autres puissances mondiales restent largement en dehors de ce conflit. Le casting décidé par Donald Trump ne laisse pas augurer de jours meilleurs. Son ambassadeur désigné pour Israël, Mike Huckabee, nie l’existence d’un peuple palestinien. Le futur secrétaire à la défense Pete Hegseth souhaite la destruction du Dôme du Rocher pour le remplacer par un troisième Temple après ceux détruits par les Babyloniens en 586 avant JC et par les Romains en 70 après JC. 

Pour Jean-Daniel Ruch la Suisse a traditionnellement été un acteur reconnu, à la fois dans la recherche d’une solution négociée et par sa tradition humanitaire. En criminalisant le Hamas et en coupant l’assistance humanitaire à l’UNRWA, la Suisse est en train de saborder elle-même les quelques atouts dont elle dispose encore pour jouer un rôle utile. Et le diplomate a conclu par ces mots : ″La décision de la Cour pénale internationale aujourd’hui offre quelques lueurs d’espoir non seulement sur la situation au Proche-Orient, où les crimes commis par les belligérants pourraient enfin faire l’objet de poursuites. Elle offre aussi un espoir pour tous ceux qui veulent un ordre international fondé sur le droit et non pas sur la force″.

Conférence de presse organisée par l’Observatoire Ethique et Santé Humanitaire le jeudi 21 novembre 2024 au Club 44 à La Chaux-de-Fonds

  • Jean-Daniel Ruch, ancien ambassadeur à Belgrade, Tel Aviv et Ankara et ancien Représentant spécial de la Suisse pour le Moyen-Orient.
  • Philippe Lazzarini, Commissaire-général de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient)
  • Nago Humbert, Responsable de l’Observatoire Éthique et Santé Humanitaire, ancien collaborateur du Croissant Rouge et de l’OMS à Gaza et en Cisjordanie, fondateur de Médecins du Monde Suisse.

16.10.2024 Lettre au Conseil des Etats

Le 16 octobre 2024, l’Observatoire Ethique et Santé Humanitaire envoie une lettre à l’ensemble des conseillères et conseillers aux états afin de les appeler à renverser la décision de couper les subventions à l’UNRWA.

La liste des signataires est mise à jour régulièrement.